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Plongée dans les vies antérieures


Par Lenoir Frédéric, publié le 30/01/1997

Nombre de gens pensent avoir déjà vécu dans la peau d'un autre. Le plus souvent dans celle d'un monarque, d'un aventurier ou d'une prêtresse antique. Bien sûr, les scientifiques n'y croient pas

Si loin que remontent les souvenirs d'Edouard, né il y a trente-sept ans, une peur irrationnelle d'être agressé à la gorge a toujours été là. Depuis l'âge de 7-8 ans, il portait donc jour et nuit un foulard protecteur. La seule vue d'une lame tranchante le plongeait dans un fort état d'anxiété. Préoccupé par cette phobie, il a d'abord consulté un psy, sans résultat. Plus tard, il a participé à un séminaire de développement personnel, venu des Etats-Unis. Le dernier jour du stage, au cours d'une séance de régression dans le subconscient, des images étranges se sont imposées à lui: un homme d'une quarantaine d'années, qu'il identifie à un noble du XVIIIe siècle, attend nerveusement dans une prison. Soudain, des hommes se jettent sur lui et le conduisent sur une place publique pour qu'il y soit guillotiné. Au moment où la lame tombe, Edouard pousse un cri et sort brutalement de ce rêve éveillé. Il transpire abondamment. Instinctivement, il enlève son foulard... et réalise avec stupéfaction que sa phobie a soudainement disparu.

La plupart des expériences de ce genre se font dans un cadre thérapeutique.

Au cours des années 60, le sage indien Sri Swami Prajnanpad a enseigné à ses disciples occidentaux le lying (mot anglais signifiant être couché). A mi-chemin du yoga royal et de la psychanalyse, cette technique thérapeutique permet d'exhumer des impressions encombrantes enfouies dans les profondeurs du psychisme... et laisse parfois émerger des traces de ce qui pourrait être interprété comme des «souvenirs de vies antérieures». Arnaud Desjardins, auteur de nombreux ouvrages de spiritualité, et sa femme, Denise, ont été à l'école de Swami Prajnanpad pendant près de dix ans. De retour en France, Denise Desjardins s'est spécialisée dans la pratique du lying. Dans un petit village du Midi, elle accueille à doses homéopathiques, depuis plus de vingt ans, des personnes le plus souvent engagées dans une démarche spirituelle hindoue ou bouddhiste.

Bien loin de ce cadre de référence orientale traditionnel, Patrick Drouot reçoit dans son cabinet parisien le Tout-Paris séduit par l'hypothèse réincarnationniste. Il est titulaire d'une maîtrise de physique. «J'ai découvert aux Etats-Unis, à la fin des années 70, les régressions dans les vies antérieures pratiquées sous hypnose.

J'ai pris la décision d'abandonner mon métier pour me consacrer entièrement à ces recherches. J'ai mis au point ma propre technique, sorte de relaxation profonde qui favorise les états d'expansion de conscience. En quinze ans, j'ai fait effectuer des séances à environ 2 500 personnes, à raison de trois séances en moyenne [500 francs la séance d'une heure trente]. Rares sont les échecs», estime Patrick Drouot, qui n'a pourtant pas réussi à faire décoller le collaborateur de L'Express - certes incrédule - qui s'était proposé comme cobaye. Devenu célèbre par ses ouvrages - Nous sommes tous immortels, (éditions du Rocher, 1987) s'est vendu à 350 000 exemplaires et lui a valu 60 000 lettres - Patrick Drouot a formé plus de 400 personnes à ce nouveau métier qui semble promis à un bel avenir. Par son seul réseau, entre 9 000 et 12 000 Français revisitent chaque année leurs vies antérieures.

On compte en France plusieurs centaines d'hypnotiseurs, de magnétiseurs ou de radiesthésistes qui pratiquent discrètement ce type de «régression» dans une optique thérapeutique. Ainsi, Claude, 48 ans, éducatrice spécialisée et magnétiseuse à ses moments perdus, accompagne des personnes «de tout âge et milieu social» dans ces étranges voyages intérieurs depuis bientôt quinze ans. Cette mère de trois enfants qui n'a apparemment rien d'une illuminée ni d'un gourou constate: «J'ai entendu les récits de centaines de vies provenant d'époques très diverses. Faute d'une meilleure explication, je parle de vies antérieures. Ce qui compte, c'est que les gens se sentent mieux et repartent le plus souvent soulagés de maux anciens.» Une autre collaboratrice de L'Express, tout aussi sceptique, a également tenté l'expérience... qui s'est révélée cette fois positive!

Refusant de remettre en question a priori la sincérité de dizaines de milliers de personnes ayant fait cette étrange expérience, certains chercheurs américains se sont lancés dans l'exploration scientifique du phénomène. Partant de ce qu'ils nomment les «allégations de souvenirs de vies antérieures», ils enquêtent longuement sur la vie des témoins et cherchent à vérifier l'exactitude des faits rapportés. Le Pr Ian Stevenson, directeur de recherche à l'université de Charlottesville (Virginie), est un pionnier en la matière. Depuis bientôt trente ans, ce neuropsychiatre et son équipe traquent les témoignages les plus troublants: ceux de jeunes enfants de diverses régions du monde qui évoquent spontanément des événements, des lieux, des gens qui semblent n'avoir aucun rapport avec leur existence actuelle. Certains de ces enfants insistent pour «retourner» dans leur ancienne demeure, telle Manika, l'héroïne du film de François Villiers, inspiré d'une histoire vécue (Manika, une vie plus tard, 1989). Sur plus de 2 000 dossiers, le Pr Stevenson a publié une vingtaine de cas dont l'examen attentif montrerait que ces enfants avaient une connaissance précise et inexpliquée de la vie de personnes décédées quelques années avant leur naissance, parfois dans un autre continent. Excluant ainsi l'hypothèse de la pathologie et de l'affabulation, il conclut provisoirement à des «cas suggérant le phénomène de réincarnation» (Ian Stevenson, 20 Cas suggérant le phénomène de réincarnation, Sand, 1985). Les réincarnationnistes n'ont pas manqué de présenter ces travaux comme des preuves scientifiques de la validité de leur croyance, ce que récuse formellement l'auteur.

Se pose évidemment la question de l'interprétation de ces témoignages. Hormis l'hypothèse de la réincarnation, qui rassemble fort peu de partisans chez les psychanalystes et chez les scientifiques, quelles sont les autres hypothèses permettant d'éclairer ces phénomènes? Un grand nombre de cas spontanés peuvent sans doute provenir d'une pathologie bien connue des psychanalystes: celle des personnalités multiples (problème d'identité d'une personne ayant plusieurs personnalités qui prennent tour à tour le contrôle du psychisme). Ils parlent aussi volontiers de créativité imaginaire, notamment dans les cas, beaucoup plus nombreux, induits par des techniques de relaxation ou hypnotiques. Mais comment expliquer la logique qui préside à l'émergence de ces «souvenirs»? Pourquoi les personnes qui font des régressions s'identifient-elles à tel personnage, à telle époque, et ont-elles l'impression de «revivre» tel ou tel événement précis?

Carl Gustav Jung, disciple dissident de Freud, rattache ce qu'il appelle «le mythe de la réincarnation» à sa théorie de l'inconscient collectif. Nous aurions accès par notre inconscient à des archétypes universels auxquels nous nous identifions. C'est pourquoi tant de personnes se sont «vues» dans la peau d'un moine tibétain, d'une sorcière médiévale, d'un prêtre égyptien, d'une prostituée romaine, voire d'un atlante... et si peu dans celle d'un plombier finlandais, d'une concierge albanaise ou d'un allumeur de réverbères à gaz. Patrick Drouot, réincarnationniste convaincu, admet lui-même avec honnêteté avoir eu sur son divan six incarnations différentes du Christ! Sans nécessairement faire référence à des archétypes, certains psychologues considèrent ces réminiscences de vies antérieures comme des jeux de rôle projetés par l'inconscient, pendant lesquels un patient revit des expériences personnelles profondes. Nous serions ainsi placés, un peu comme dans certains rêves, devant la montée symbolique d'un problème ou d'un fait psychique de la vie actuelle. Cela pourrait expliquer les phénomènes fréquents de guérison spectaculaire d'un symptôme chronique.

Diverses interprétations Les théories bouddhistes permettent d'avancer encore une autre hypothèse: les différents agrégats psychiques qui composeraient l'homme, au lieu de disparaître avec la mort, se disperseraient et transmigreraient chez un ou plusieurs enfants venant d'être conçus. Ainsi, nous porterions tous des «informations karmiques», des éléments psychiques, des émotions provenant d'autres personnes ayant vécu avant nous. Enfouies dans notre subconscient, ces informations pourraient se manifester spontanément ou bien sous hypnose, ou encore à l'occasion d'un travail de régression dans un état de conscience modifiée (pratique de la méditation, lying, relaxation profonde).

La Réincarnation, par André Couture. Ecrite par un historien des religions, une excellente introduction. Novalis, 1992, 178 p. La Réincarnation, théorie, science ou croyance?, par André Couture. Une présentation distanciée de 45 livres consacrés au sujet. Médiaspaul, 1992, 370 p. De la mort à la vie, dialogue Orient-Occident sur la transmigration, par Jean-Pierre Schnetzler. Un très bon ouvrage de réflexion par un médecin psychiatre adepte du bouddhisme. Dervy, 1995, 255 p. De naissance en naissance, par Denise Desjardins. Témoignage d'une régression dans une vie antérieure. La Table ronde, 1994, 262 p. Bardo Thödol, le fameux Livre des morts tibétain, difficile d'accès sans un minimum d'initiation au bouddhisme tantrique. Albin Michel, 1995, 220 p.

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