L’huile de palme BIO est-elle responsable ?
Dans un article précédent j’avais abordé les vertus de l’huile de palme (quel bon gras pour moi ?), je n’y reviendrai donc pas dans ce présent article.
Aujourd’hui mon focus est plutôt de savoir si réellement il est possible de s’approvisionner en une huile de palme bio qui ne contribue pas à la déforestation, tout en revenant sur les causes de la déforestation.
Au départ, il y a une huile, l’huile traditionnelle des cuisines d’Afrique, d’Amérique du Sud et d’Asie.
Le palmier à huile ne pousse que dans la zone équatoriale et ses plantations sont réparties sur plusieurs continents :
L’Asie du sud-est (Malaisie, Indonésie), productrice de 85% de l’huile de palme mondiale
L’Afrique centrale (Cameroun, République du Congo)
L’Amérique du Sud (Colombie, Brésil)
UNE EXPLOSION DE LA DEMANDE DE PALME
Le problème est qu’au cours des dernières décennies, l’huile de palme s’est progressivement imposée comme principale huile végétale dans le monde.
Elle est de nos jours devenue la plus consommée au monde (25%) dépassant de peu l'huile de soja (24 %) et de loin celles de colza (12 %) et de tournesol (7 %).
La demande en huile de palme a augmenté de 8,7 % par an depuis 1995. On observe une forte croissance de la consommation mondiale qui pourrait atteindre 40 millions de tonnes en 2020, contre 22,5 millions de tonnes en 2010.
L'Europe consomme 12% de la production mondiale d'huile de palme.
Chaque jour, des milliers d’hectares de forêts sont détruits pour faire pousser les fameux palmiers.
L’extinction des Orang-outans est en grande partie due à cette culture, leur population à chutée de 91% en un siècle sur l’île de Sumatra.
L’Indonésie est devenue le troisième producteur mondial de CO2 à cause des feux de forêts. L’équivalent d’un terrain de football disparait toutes les 15 secondes.
En Indonésie l'huile de palme n’est responsable "que" de 14, 17 ou 27% de la déforestation mais en Malaisie ce chiffre va au-delà de 80%.
Le rapport de la FAO Forest and energy key issues arrive à la conclusion que l'huile de palme est la principale cause de la déforestation actuelle.
La FAO rappelle également que la production de cette huile est responsable d’une déforestation indirecte puisque de nombreuses cultures ayant été converties en palmeraies, les paysans ont dû déforester pour pouvoir à nouveau cultiver.
SOJA OGM... On en parle peu...
Le rendement d'huile des plantations de palmiers à huile est d'environ dix fois supérieur à celle d'autres plantations d'oléagineux tels que le soja, le tournesol ou le colza.
Il faut défricher chaque année 15 millions d'hectares pour planter du soja, du tournesol ou du colza, contre 1,5 million d'hectare pour les palmiers à huile.
Je me souviens pour le soja, avoir voyagé au cœur d’une région du Brésil et avoir vu des champs de culture de soja OGM à perte de vue et des expropriations des habitants de leurs terres. C’est ce soja qui je le rappelle sera transformé en tourteau et viendra nourrir nos animaux d’élevage en Europe.
Mon propos est ici l’huile de palme, mais il ne faut pas oublier cette culture de soja OGM et la déforestation de l’Amazonie pour faire place à l’élevage bovin qui seraient selon Greenpeace, responsable à 80% de la destruction de la forêt amazonienne.
Une surface de forêt équivalente aux Pays-Bas est défrichée chaque année pour le soja en Amérique du Sud. Les soja et maïs transgéniques qui y sont cultivés sur 45 millions d'hectares à travers l'Argentine, le Brésil et le Paraguay proviennent d'une seule entreprise : Monsanto.
35 millions de tonnes de soja transgénique Monsanto sont importés chaque année en Europe pour nourrir les volailles, cochons et bovins des élevages industriels.
Et oui ! Et on ne le voit pas…
A force de focaliser uniquement sur l’huile de palme on en oublie le reste qui touche aussi la préservation de la forêt primaire. Seulement ce tourteau de soja n’est pas vendu en produit final dans les supermarchés mais nourrit donc les animaux dont la viande sera mangée. Du coup cela se remarque moins…Mais les conséquences sont néanmoins réelles.
Le problème concernant l’huile de palme c’est l’abus qui en est fait quant à son utilisation, laquelle contribue de fait à son exploitation grandissante….
L'HUILE DE PALME BIO
Je ne développerai pas l’huile de palme durable selon les normes RSPO (Association internationale à but non lucratif : Table ronde pour une huile de palme durable) dont le suivi des normes est très controversée également.
Une huile de palme bio ne sera jamais extraite à l’hexane, estérifiée ou hydrogénée.
En agriculture bio, l’utilisation de pesticides neurotoxiques est interdite. La préservation de l'écosystème existant est une priorité , ce qui limite le risque de monoculture et préserve la matière organique du sol. Des normes sociales sont exigées : pas de travail des enfants, une couverture sociale pour les employés, des conditions humaines de travail et des droits de co-gestion pour les employés.
L’huile de palme bio correpond à 0,2% de la production d’huile de palme mondiale. C'est vraiment peu...
Il semble que la majorité de l’huile de palme bio provient de Colombie et sa production repose essentiellement sinon uniquement (je n'ai pas trouvé plus d'informations à ce sujet) entre les mains de la société Daabon qui a reçu la certification bio en 1991 et qui exploiterait dans le respect de la biodiversité et des conditions de vie :
Plusieurs îlots de forêt ou de broussailles ont été préservés allant chacun de quelques hectares à 19 hectares, qui représentent un refuge pour de multiples espèces
De bonnes conditions de travail pour les employés contrairement à ce qu’il se passe en Indonésie ou en Afrique Centrale
Recyclage des eaux usées
Compost
Engrais verts
Salaires décents
Daabon est reconnu par Eco-cert et a Rainforest Alliance.
Deux ONG locales colombiennes veillent au respect des conditions de travail dans les plantations et sont au contact direct des travailleurs (dans ces plantations on trouve une organisation syndicale pour gérer la commercialisation des produits alimentaires et la distribution des médicaments, une permanence de médecins et des transports scolaires). Les coûts inhérents aux bâtiments scolaires et à leurs équipements sont supportés par la plantation. L’État assure la charge des personnels enseignants.
Mais, car il y a toujours un mais...
Depuis 2010 Daabon fait face à de nombreuses accusations concernant l’expulsion de 123 familles, suite à l’achat de cette zone par un consortium nommé El Labrador.
Or Daabon serait un actionnaire majoritaire de ce consortium.
Après la publication d’un rapport accablant sur ce sujet de l’ONG Christian AID et devant la lenteur de Daabon pour mettre des solutions en place, The Body Shop a résilié son contrat. Néanmoins, Daabon a reconnu sa responsabilité en tant que membre du consortium et a mis en place une équipe afin de s’assurer que la philosophie de l’entreprise sera respectée et s’est engagé à adopter le FPIC (Free, Prior, and Informed Consent - Consentement libre, préalable et éclairé) afin d’éviter tout futur conflit éventuel. En mai 2011 les expulsés ont retrouvé leurs terres par décision de justice.
Le cas de Daabon illustre toute la problématique des multinationales et de leurs filiales par actionnariat interposé de surcroit dans un pays tel que la Colombie, en guerre civile depuis 50 ans, même si la situation tend à s'améliorer.
Desnégociations avec les FARC sont menées depuis novembre 2012 par le gouvernement colombien afin de tenter de résoudre ce conflit armé.
La guérilla s’est engagée à ne plus enlever de civils contre rançon, mais se réserve le droit de capturer des policiers ou des militaires, qu’elle considère comme des prisonniers de guerre.
Les avancées sont longues car un demi-siècle de conflit, des milliers de morts et des millions de déplacés ne sont pas de nature à susciter la confiance. Tout ceci n'aide pas le développement du pays.
COLOMBIE UN PAYS AUX SOLS RICHES
La Colombie est l’un des pays au monde où les inégalités d’accès à la terre sont les plus fortes. 1% seulement de la population détient plus de la moitié du foncier.
La Colombie est le deuxième pays au monde en termes de biodiversité.
Son sous-sol recèle aussi une richesse énorme : houille, nickel, pétrole, pierres précieuses. Le pays assure ainsi 55 % de la production mondiale d’émeraudes, et possède les premières réserves de charbon d’Amérique Latine.
Des ressources encore peu exploitées au vu de leur potentiel.
Les conflits entre populations locales et multinationales se sont multipliés ces dernières années. En 2012, les populations autochtones de la région du Choco ont remporté une victoire contre la Muriel Mining Corporation. La justice a en effet estimé que le projet minier Mandé Norte, qui prévoyait l’exploitation de l’or et du cuivre sur plus de 160 km2, ne respectait pas les droits des habitants.
Néanmoins, comme dans tous ces pays dans une telle situtaion, des industries se sont installées sur les territoires occupés par les guérillas et les milices, moyennant finance, et complicité du gouvernement. Racket, pression sur les villageois et disparition de leaders locaux écologistes sont des pratiques courantes.
Les déplacements forcés ont privé près de deux millions de Colombiens de leur propriété. Ils provenaient soit du recrutement forcé par des groupes armés, soit de l’expropriation par des narcotrafiquants, ou encore de la destruction des plantations. Plusieurs millions d’hectares de terres, entre 1,2 et 10 suivant les estimations, ont ainsi été spoliés.
La question est de savoir aujourd’hui qui va les récupérer.
Le gouvernement a lancé en 2011 un programme de restitution des terres. Mais déjà, les obstacles surgissent. Car les terres volées sont à présent occupées et cultivées par d’autres. Notamment des compagnies agroalimentaires.
CONCLUSION : FAUT-IL BOYCOTTER L'HUILE DE PALME BIO ?
Ce n’est bien sûr pas à moi de le dire, mais à vous de le décider. Je vais nénamoins vous partager mon point de vue.
Ne pas acheter une huile de palme non bio ou un produit qui en contient est pour moi une évidence.
De plus, l’huile de palme du fait de sa provenance lointaine, n’est pas un achat durable pour un consommateur européen. Tout comme les bananes, la noix de coco, les mangues…
Pour limiter sa consommation, la solution la plus judicieuse serait de cuisiner le maximum à la maison, tout en lisant toutes les étiquettes des produits avant de les acheter.
Attention, la réglementation n’oblige pas les fabricants à indiquer clairement le type de matière grasse utilisée : la mention "huile végétale" signifie souvent huile de palme et hydrogénée de sucroit (cf article quel bon gras pour moi ?)
Une autre évidence : manger local et de saison !
Se lancer dans une traque de l'huile de palme, incite les fabricants à substituer cette huile pour des huiles végétales comme le colza ou le tournesol, qui nécessitent jusqu'à 7 fois plus de place pour produire la même quantité d'huile ! Avec comme résultat, encore un impact sur l’environnement !
De nombreux groupes français ont déjà fait marche arrière et utilisent désormais de l’huile de colza (qui ne supporte pas de hautes températures et est moins stable que l’huile de palme à la cuisson) ou de l’huile de tournesol... C'est déplacer le problème mais pas le résoudre.
Au final, le sujet est donc beaucoup plus complexe qu'un simple boycott ou un appel à substitution.
Je recommande de limiter la consommation d’aliments industriels et de ne consommer des aliments uniquement bio s’ils contiennent de l’huile de palme (biscuits etc) et l’achat d’un pain de palme bio pour les fritures ou cuisson à haute température, car elle est pour moi la meilleure huile avec l'huile de coco pour les cuissons à haute température (cf article quel bon gras pour moi ?). De la même manière j'invite à consommer de la viande biologique ou fermière, en tout cas, à vérifier la provenance de la nourriture des animaux afin de ne pas être complice, sans le savoir d'un autre type de déforestation, et d'utilisation d'OGM...
Ainsi nous contribuerons à réduire la consommation mondiale et du coup son impact environnemental, chacun à notre niveau, de cette huile et nous défendrons cette idée : une huile cultivée selon la norme biologique et consommée avec modération.
Sources :
Livre : Un fléau si rentable: Vérités et mensonges sur l'huile de palme